Pour une nouvelle forme d’entreprise humanitaire 6 novembre 2006
Par Thierry Klein dans : Entreprise altruiste.Lu 11 973 fois | trackback
Jusqu’aux années 1980, il n’y avait comme formes d’engagement possibles pour une cause dite humanitaire que la donation (à titre privé) ou l’association.
Deux événements majeurs se sont produits depuis et ils ont pris racine dans les technologies de l’information, ce qui n’est pas un hasard :
1. le mouvement Open Source
Lancé en 1984, le mouvement Open Source a pour objectifs de favoriser la libre circulation des connaissances et des logiciels (en opposition avec les stratégies privées de sociétés telles que Microsoft), de faire collaborer les ingénieurs et de mettre à la disposition de tous le résultat de leurs travaux. On peut critiquer, comme je l’ai fait, le manque d’ambition de l’idée « Open Source » (liberté de circulation et la gratuité d’un logiciel sont des notions vides si on ne leur donne pas un sens) mais on ne peut pas nier, comme me l’ont fait remarquer pas mal de lecteurs en commentaires, l’impact énorme de l’Open Source sur la société au final puisqu’il est à la base d’Internet.
2.le cas Bill Gates
Bill Gates vient de devenir le plus important donateur privé du monde en créant une fondation dotée de 30 milliards de dollars – le potentiel financier de sa fondation est bien supérieur à celui d’un pays comme la France. On est certes dans le cas d’une donation privée mais à un niveau jamais vu auparavant. En fait, Bill Gates a investi une part importante de sa fortune, constituée, de par le jeu boursier, des bénéfices réalisés par Microsoft sur 25 années.
Dans le mouvement Open Source, il y a toute la puissance de l’action collaborative, d’Internet, de la mondialisation autour desquels s’organisera le XXIème siècle. L’Open Source préfigure ce que pourront être demain l’action collective – il inspire même déjà des sociétés constituées de développeurs qui travaillent essentiellement à distance, comme la mienne.
L’initiative de Bill Gates est symbolique du rôle qu’ont pris les technologies de l’information mais dans sa forme est beaucoup moins originale, voire dépassée. Bill Gates apporte certes la puissance financière, mais son action reste individuelle et l’effet de levier, la dynamique créée resteront limités. Au mieux, ce sera une œuvre humanitaire de plus – ce qui est d’ailleurs très bien, au pire, ce sera la lubie d’un magnat. Mais ça ne changera pas la destinée du monde.
Pour faire travailler ensemble les hommes de ce siècle dans un but positif, pour sauver non seulement l’humanité mais les espèces animales, la planète, on sent bien qu’il faudra proposer aux hommes quelque chose « dans le genre » de l’Open Source, des initiatives collaboratives et altruistes par nature.
En même temps, pour limiter les effets les plus dévastateurs de la mondialisation, qu’il s’agisse là encore de la destruction des ressources ou tout simplement du basculement inévitable vers la guerre, on sent bien que rien n’est possible sans puissance financière. Les intérêts économiques en jeu sont trop grands. Il faut lutter contre l’argent par l’argent pour pouvoir agir économiquement, politiquement, industriellement au même niveau que les acteurs économiques modernes. On n’empêchera pas la surexploitation des océans, des ressources pétrolières, la destruction des forêts indonésiennes ou amazonienne avec quelques bonnes volontés et des clopinettes.
Un nouveau modèle d’entreprise humanitaire
Mon idée, c’est d’inverser le processus « Bill Gates ». De créer des sociétés dont le but affiché, dès le départ, est d’agir pour une cause – dans le reste de ce billet, j’appellerai cette cause « la planète » puisque c’est celle qui m’importe le plus. Ces sociétés seront des entreprises tout à fait normales au sens économique du terme. Elles se doivent d’être performantes, rentables, etc…
Ce qui change, c’est juste qu’une part significative de leur capital (disons 20% au moins) « appartient » à la planète. Elles s’appuient aussi largement sur le bénévolat, la collaboration. Elles agissent principalement, j’allais dire par nature, dans le champ des nouvelles technologies, parce que c’est là où les forces collaboratives qui entraînent le monde sont les plus vives, comme l’a montré l’Open Source. C’est là aussi qu’on peut le plus, aujourd’hui, créer la valeur financière, comme l’a montré Microsoft.
Elles bénéficient donc à la fois du bénéfice de l’action collaborative (leurs employés et leurs bénévoles, leurs clients, savent qu’un but commun, de nature altruiste, les rassemble), mais aussi leur « condition » de société leur donne accès à tous les leviers économiques (capital risque, bourse, appel aux capitaux) indispensables pour pouvoir peser dans la mondialisation. Ainsi, il n’y a plus un champ altruiste et un champ économique totalement disjoints, mais l’altruiste s’insère dans l’économique, pour pouvoir y peser.
Il y a des millions de gens aujourd’hui qui se demandent quoi faire, comment agir. Ils n’ont pas vraiment de solution à leur disposition. Il faut finalement pas mal de moyens pour s’engager à plein temps dans une mission humanitaire. De telles sociétés altruistes leur permettraient d’avoir un emploi « normal » avec une vraie mission, bien différente des traditionnelles missions d’entreprise.
(On ne verrait plus des mots d’ordres creux tels que « Notre mission est de satisfaire nos clients en développant le meilleur logiciel de gestion des plants de tomate en milieu alcalin » mais « Notre mission est de contribuer efficacement à la sauvegarde de la planète. Nous sommes experts en développement de logiciels de gestion de plants de tomate et nous avons décidé de mettre nos compétences au service de notre mission ».
Vous ne trouvez pas que ça change tout ?)
De telles sociétés n’ont rien à voir avec les « fonds éthiques » ou les « sociétés éthiques » actuelles. Les fonds éthiques « valident » bien le caractère éthique des sociétés de leur portefeuille, mais, outre le fait qu’on peut douter de la qualité de ce contrôle puisque leur but est uniquement de faire de l’argent, il n’ont aucune action « bienfaisante » en tant que telle et on peut se demander si le caractère éthique du fonds n’est pas qu’un prétexte « marketing » visant à attirer des capitaux ou des clients. Il en est de même de la plupart des opérations « altruistes » de sponsoring menées par les sociétés (avez-vous remarqué que presque tous les sociétés du domaine de l’énergie financent des campagnes pour une planète plus propre ?).
Toutes ces considérations vous paraissent peut-être un peu théoriques, mais en fait, je pense à mon entreprise Speechi qui a aujourd’hui 3 ans et qui se développe vraiment bien.
Deux voies sont possibles pour son développement en 2007: le capital-risque ou une telle forme d’entreprise « humanitaire ».
De plus en plus, je me dis que cette forme « humanitaire » a plein d’avantages sur le capital-risque. Plus de dynamique, plus facile d’attirer des compétences, plus de passion préservée, et surtout, plus de sens. Tout ça, ce sont des choses que l’argent n’achète pas. Je me dis que Speechi peut peut être aller plus loin, plus haut de cette façon. Et que surtout mon travail serait beaucoup plus utile.
Ce n’est pas difficile, il suffit de donner le capital à la planète.
Qu’en pensez-vous ?
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Commentaires»
Quelques petites réflexions générales :
bboeton.wordpress.com/200…
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J’arrête là…c’est promis.
Bien cordialement
L’Abrincate
Salut Thierry,
C’est grosso modo à cette conclusion qu’arrive Joel Bakan dans The Corporation.
Dans ce passionnant livre, l’auteur analyse l’ensemble des travers liés à la structure juridique des sociétés commerciales : elles sont esclaves de leur objet social.
Dans cette perspective, l’entreprise humanitaire ne serait pas celle qui consacre 20 % de son capital à une cause, mais celle dont l’objet viserait à la réalisation d’un objectif humanitaire, en le faisant primer sur le reste.
Si tu n’as pas le temps de lire le livre, il y a aussi un film, qui en a été tiré : http://www.thecorporation.com
Bof… Toutes ces initiatives d’inspiration marxiste ont toujours échoué, alors…
Je trouves ça vraiment génial les idées d’entreprises qui ont comme volonté le bien commun.
capital risque, bourse, appel aux capitaux -> j’ai du aml a saisir la ! 😉
Une petite remarque : quand des entreprises cèdent une partie de leur capital, elles cèdent une partie de leur contrôle en sus d’une partie de leurs bénéfices. Deux questions se posent alors :
Quelle serait l’entité exerçant le contrôle et le droit de vote en AG ?
Sur quel compte seraient déposés les 20% des dividendes ?
Les droits de vote peuvent être détachés des dividendes (même si, dans l’esprit du Capital Altruiste, ils n’ont pas forcément vocation à l’être). On peut concevoir que des actionnaires veuillent donner des dividendes, mais garder du contrôle, ce n’est pas honteux.
Sinon, l’entité exerçant le droit de vote, c’est l’ONG. Ca a 2 avantages: 1) ça responsabilise l’ONG et l’oblige a prendre des positions réalistes (car c’est son intérêt) – aujourd’hui, évidemment, 99% des ONG sont irresponsables sur ce plan, mais il ne faut pas désespérer, 2) à terme, au fur et à mesure que le modèle se propage, l’économique devient, en partie, contrôlé par l’Humanitaire. Un peu de raison dans un monde qui est trop matérialiste pour être raisonnable.
Dans ce cas il s’agit simplement de céder des parts d’entrerpise à une ONG avec les avantages et les inconvénients que cela présente :
Primo, une telle ONG devra pouvoir toujours justifier qu’elle n’a pas un but lucratif.
Secundo, imaginez que rongée de remord, une entreprise exploitant sauvagement une partie d’une forêt équatoriale donne 20% de ses parts à une ONG chargée de sauvegarder la faune et la flore dans toute la région. Un tel conflit d’intérêts n’amputerait-il pas l’ONG ?
Le capital altruiste ne prétend pas régler tous les problèmes de la terre… Juste une forme d’intervention qui me semble avoir beaucoup d’avantages sur les autres façons d’agir que je connais et qui est généralisable, jusqu’à pouvoir un jour influencer toute l’économie…
Le « primo » est un problème classique de gouvernance et de contrôle des ONG, dès lors qu’elles brassent un peu d’argent. Si le capital altruiste se développe, certaines ONG en abuseront, c’est sûr – ça arrive déjà aujourd’hui, ça n’est pas spécifique au capital altruiste et ça ne le remet pas en cause.
Le « secundo » est un problème classique de gouvernance et de contrôle des entreprises. Non, le principe d’une ONG actionnaire d’une entreprise qui va « contre » ses objectifs (à noter que les choses ne sont jamais aussi binaires que ça) ne me choque pas a priori. Ca peut même se justifier sur un plan théorique (voir Une entreprise altruiste doit-elle se conduire de façon plus éthique que les autres ?. Après, tout dépend des rapports et des forces relatives des actionnaires. Avec 1%, on n’a pas d’influence, avec 20% on en a évidemment. Une des forces du capitalisme est justement d’être assez performant et souple quand les intérêts des actionnaires divergent – le capital altruiste s’appuie sur ça aussi.
Quand à la notion d’entreprise « chargée de remords »… Les personnes physiques « chargées de remords » sont déjà extrêmement rares… Alors, les personnes morales !
bonsoir a mr thierry klein,je viens sollicite une place par corrospondance a vous j’etais demande une aide concernant ma vie je de nationalite congolais de la pays congo r d c je dis aide moi je souffre beaucoup donne moi le travail et le moyen de transport si vous inya pas donne moi une quelque chose pour vivrais le pays congo r d c la souffrance et gravee le pays et manque d’emploi les societe c’est ici c’elais privee
[…] hypocrite. Une entreprise altruiste doit-elle se conduire de façon plus éthique que les autres ? Pour une nouvelle forme d’entreprise humanitaire Le Paradis Perdu d’Adam Smith Abel, premier entrepreneur altruiste. “This is history in […]
Bonjour Mr Klein,
J’approuve totalement votre raisonnement et le partage depuis quelques années.
Pour ma part, je suis actuellement en train de réfléchir à la construction d’un groupe de sociétés dont la holding verserait la majorité de son bénéfice net après impôt à des associations venant en aide à ceux qui sont les plus démunis en France (logement, malnutrition, scolarisation…). Par ailleurs, j’ai déjà quelques idées d’activité pour les sociétés qui seraient membres de ce groupe. Chaque société aura le devoir dans la mesure du possible d’employer des SDF ou des chômeurs. Le capital de ces sociétés serait bien entendu détenu en partie par la Holding.
Ceci n’est qu’un court résumé, mais l’idée fait son chemin d’autant que je fais partie des gens qui ne tolèrent pas que leur prochain soit à la rue, mal logé, mal nourrit et j’en passe et des meilleurs. Je pense que le gouvernement devrait s’en occuper et trouver des solutions. Je rêve du jour où les associations humanitaires n’existeront plus.
Cordialement.
[…] sur ce sujet le « manifeste» initial du Capital Altruiste « Pour une nouvelle forme d’entreprise humanitaire« , qui date (déjà !) de […]
[…] dans mon blog personnel que j’ai parlé pour la première fois, il y a 4 ans, du Capital Altruiste, à une époque où je ne savais pas encore si c’était applicable à […]
[…] dans mon blog personnel que j’ai parlé pour la première fois, il y a 4 ans, du Capital Altruiste, à une époque où je ne savais pas encore si c’était applicable à […]
Je pense que c’est une bonne idée que de fonder une entreprise sur l’altruisme. Mais je ne vois pas l’intérêt de noyer une telle entreprise dans des monstruosités économiques comme la bourse. Après tout, c’est à cause d’une composante de la bourse, les titres du trésor, que les dettes d’Etat s’enflent d’elles-mêmes, que les dettes « publiques » sont impossibles à payer, et que les politiques visant à faire payer aux peuples cette dette, si à la mode aujourd’hui, sont complètement démentielles, ravageuses et inconscientes.
Il faudrait des entreprises fondées sur l’altruisme : on travaille pour produire quelque chose d’utile, pas pour bourrer les poches d’un patron. Il faudrait que ces entreprises soient aussi libérées de l’erreur du salariat : tout le monde gagne la même paye (genre 2 500 euros par mois), comme ça on est sûr que tout le monde gagne assez, pourvu que l’activité soit rentable.
Dans l’idéal, il faudrait même que les gens travaillent par eux mêmes et offrent le produit de leur travail aux autres ; l’argent serait donc superflu, et ce serait le règne de la générosité. En attendant, on peut toujours faire des actes de transition, comme une entreprise altruiste sans salariat 😉
je me pose la question j ai un projet au Togo maison d hotes et pèches et kayak et nature.Je suis aussi bénévole dans une association au Togo mais voila comment réaliser une entreprise en forme humanitaire je ne suis pas pour l assistanat et je travail beaucoup sur l autonomie avec les personnes ce n est pas nous de prendre les décisions et de savoir leurs besoins c est eux!!!
Alors comment peux t on associer les deux!!!pourquoi pas faire partager se site aux enfants de la rue et que ce site soit préservé par une autre association pour le vert!!!!